Interview avec Françoise Ellien, Présidente de l’Association nationale Jeunes AiDants Ensemble, JADE

Interview avec Françoise Ellien
Psychologue clinicienne, spécialisée dans la clinique infanto-juvénile
Directrice du réseau de santé plurithématique SPES
Secrétaire général de la SFFPO (Société Française et Francophone de Psycho-Oncologie)
Co-fondatrice des ateliers cinéma-répit et Présidente de l’Association nationale Jeunes AiDants Ensemble, JADE

1. Qui sont les jeunes aidants ?

Un jeune aidant est un enfant ou un adolescent de moins de 18 ans qui apporte une aide significative régulière à un proche malade en raison d’une maladie physique, mentale ou d’un handicap. Entre 18 et 25 ans, on parle de jeune adulte aidant.

La situation des jeunes aidants s’est présentée dans mon exercice quotidien au sein de l’équipe pluri-professionnelle du réseau de santé SPES, dispositif qui apporte depuis 2001, un appui spécialisé et une aide à la coordination dans les parcours de santé complexes au domicile. C’est dans ce cadre que j’ai pu repérer les jeunes aidants.

A l’heure actuelle, il n'existe aucune donnée officielle concernant le nombre de jeunes aidants en France. La dernière statistique publique date de l'enquête Handicap-Santé de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DRESS) de 2008 : les 16-30 ans représentaient alors 11% des aidants. Estimés initialement à 500 000, les jeunes aidants seraient, en réalité, beaucoup plus nombreux. Le projet JAID (recherche sur les Jeunes AIDants) dont l’Association nationale JADE est partenaire, comporte 5 volets de recherche dont l’étude ADOCARE « Qui sont les jeunes aidants dans les lycées ? ». Les résultats liminaires de cette étude interrogent les estimations : sur 1448 lycéens interrogés, 17,1% se considèrent comme jeunes aidants.

2. Quelles sont les répercussions de cette situation d’aidance sur la santé de ces jeunes ?

Cette situation d’aidance a une incidence sur la santé physique et mentale de ces jeunes. En effet, il est à noter des effets possibles sur leurs loisirs et leur socialisation : les jeunes aidants ont plus de responsabilités, ils sont plus soucieux pour leurs parents, plus isolés et ont plus de difficultés à participer aux activités extrascolaires et à se faire des amis. Ils se sentent souvent tiraillés entre ce qu’ils vivent comme un devoir et leur désir d’être et de vivre comme les autres.

Leur situation peut avoir également une incidence sur les apprentissages et leur réussite scolaire : absence, retard, fatigue, manque de concentration ou d’attention, harcèlement scolaire, faibles performances scolaires, manque de temps pour faire correctement ses devoirs et travailler à la maison. Les jeunes aidants sont à plus haut risque que les autres de décrochage scolaire.

Les possibles difficultés scolaires et dans leur vie sociale viennent majorer les incidences de cette situation d’aidance sur leur vie psychique et leur développement psycho-affectif. Les jeunes aidants parlent peu de leur situation familiale à leurs amis, à leurs professeurs et autour d’eux. Ils sont aux prises avec des sentiments de honte, de culpabilité et d’ambivalence. Ils sont plus exposés à la dépression, aux troubles anxio-dépressifs et aux troubles du comportement (agressivité, labilité émotionnelle, impulsivité, difficulté à respecter l’autorité…). Certains éprouvent aussi des douleurs physiques (mal de dos, lombalgie, maux de tête, migraine…). Ils sont nombreux à évoquer des problèmes de sommeil et d’alimentation. Les jeunes aidants, tout comme les aidants adultes, sont à risque de négligence de soins. Ces risques sont là tant qu’ils seront niés dans leur fonction d’aidant et non reconnus.

Cette situation d’aidance permet aussi aux jeunes de développer des capacités d’adaptation face aux situations difficiles, de mieux franchir les obstacles et de plus aisément apprivoiser les évènements de vie. Ils perçoivent des bénéfices personnels tels qu’une meilleure connaissance de soi, une maturité accrue et un sens des responsabilités. Cette situation d’aidance est parfois un soutien à leur construction identitaire. Ils ont le sentiment d’être utiles et appréciés ce qui renforce l’estime de soi. Ils évoquent des liens renforcés dans la famille.

3. Quelles sont les missions de l’Association nationale Jeunes AiDants Ensemble, JADE ?

L’Association nationale JADE a été créée en 2016, à la suite de 3 années d’ateliers cinéma-répit en Essonne, lieu de répit et d’expression à destination des jeunes aidants. Première association à porter la voix des jeunes aidants en France, l’Association nationale JADE favorise l’émergence de réponses innovantes aux besoins des jeunes aidants et de leurs proches aidés pour une visibilité et une reconnaissance de leur situation. 

Nous accompagnons et soutenons les jeunes aidants en leur apportant un lieu de répit et d’expression : les ateliers artistiques-répit JADE !

Le dispositif pilote « Ateliers cinéma-répit JADE » a inauguré sa première session dès 2014. Nous proposons, gratuitement, à des enfants et à des adolescents en situation d’aidance des séjours de répit et de création audiovisuelle. En résidence et encadrés par une équipe de professionnels de l’audiovisuel, de l’animation et des psychologues, les enfants et les adolescents sont accueillis deux fois 6 jours. Ils sont répartis en deux groupes : le groupe des 8-13 ans et le groupe des 14-18 ans.  

De ce dispositif pilote basé sur le cinéma, nous avons créé un label : les ateliers artistiques-répit JADE dont le média artistique est libre pourvu qu’il ne soit pas discriminant ni sur le plan scolaire ni sur le plan culturel (théâtre, arts plastiques, musique...). L’approche par le vecteur artistique permet une réalisation porteuse d’un message fort pour sensibiliser la société. Et l’objectif reste le même : offrir un lieu de répit et d’expression aux jeunes aidants. Aujourd’hui, 4 régions sont d’ores et déjà opérationnelles : Occitanie, Sud, Nouvelle-Aquitaine, Normandie.

En parallèle, nous développons des actions de sensibilisation des acteurs de la santé, du social, du médico-social, pour faciliter le repérage et améliorer l’accompagnement mais aussi de l’Éducation nationale notamment pour prévenir les risques de décrochage scolaire. Il est également essentiel pour nous de mobiliser et accompagner les pouvoirs publics dans la mise en œuvre de politiques publiques transversales visant à faciliter et améliorer le quotidien des jeunes aidants et de leurs proches aidés. 

Depuis le début de cette aventure, l’ensemble de ces actions est mené, avec l’appui de partenaires institutionnels et financiers fidèles. Il est dans notre ADN de réunir tous les partenaires pour travailler en cohésion les uns avec les autres en toute transparence.