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COVID-19 : des décrets pour lutter contre la crise sanitaire ?

Version à jour au 25 mars 2020

 

Le Premier ministre a adopté plusieurs décrets au titre des mesures de police sanitaire destinées à lutter contre le Covid-19. Outre divers décrets permettant l’entrée en vigueur immédiate de plusieurs arrêtés adoptés par le ministre des solidarités et de la santé, le décret 2020-190, signé le 3 mars, est « relatif aux réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19 ». Ce décret a été abrogé dès le 13 mars et remplacé à la même date par le décret 2020-247 qui a pris effet le lendemain, 14 mars. Complété par deux arrêtés des 6 et 14 mars qui habilitent les pharmacies à préparer le gel hydro-alcoolique et en fixent les prix, le décret 2020-197, signé le 5 mars, est quant à lui, « relatif aux prix de vente des gels hydro-alcooliques »[1]. Le décret n° 2020-227 du 9 mars 2020, outre qu’il modifie un précédent décret instaurant un régime dérogatoire de versement d’indemnités journalières, permet la réalisation et la prise en charge d’actes de télémédecine dans des conditions dérogatoires. Le décret 2020-248 du 13 mars est relatif à la mobilisation de la réserve sanitaire. Le décret 2020-260 du 16 mars 2020 porte « réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 ». Après consultation du Conseil d’Etat, le décret 2020-264 du 17 mars fixe les modalités de son exécution.

Enfin, avant même l’entrée en vigueur, le 24 mars 2020, de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 qui instaure l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 24 mai 2020, le Premier ministre a usé, le 23 mars 2020, des attributions qu’il tient du nouvel article L 3131-15 du CSP pour instaurer diverses mesures restrictives qui se substituent aux dispositions antérieurement applicables[2].

 

De quoi s’agit-il précisément et que faut-il en penser ?

 

1. Réquisition, « gel » des prix, télémédecine, réserve sanitaire, restrictions de déplacement : de quoi parle-t-on ?

 

-      Le droit de réquisition

 

Le terme de « réquisition » matérialise l’un des privilèges que les législations d’exception confèrent à l’Etat : un dispositif juridique par lequel l’Etat contraint un tiers à mettre à sa disposition exclusive des personnes (réquisition des professionnels de santé) ou des biens. Il s’agit donc d’un droit exorbitant, qui doit être justifié par des circonstances exceptionnelles : guerre, péril, urgence.

 

Ce privilège exorbitant conféré à l’Etat est prévu dans plusieurs législations, notamment aux articles L. 3131-8 et L. 3131-9 du CSP. Le premier d’entre eux prévoit que « si l’afflux de patients ou de victimes ou la situation sanitaire le justifie (…) le représentant de l’Etat dans le département peut procéder aux réquisitions nécessaires de tous biens et services (…) ». Le second se borne à conférer les mêmes pouvoirs à d’autres représentants de l’Etat selon la portée territoriale des réquisitions prononcées.

 

Ce sont donc ces dernières dispositions de l’article L. 3131-9 dont il a été fait application les 3 et 13 mars.

 

Par ailleurs, le droit de réquisition est désormais prévu au 7° du nouvel article L 3131-15 du CSP issu de la loi d’urgence du 23 mars 2020 et applicable depuis le 24. Ce sont donc de ces dispositions nouvelles dont le Premier ministre a fait application pour prononcer la réquisition des masques que prononce désormais l’article 12 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 qui se substitue au décret du 13 mars, abrogé.

 

-      Le « gel » des prix

 

L’article L. 410-2 du code de commerce pose le principe de la liberté des prix. Son troisième alinéa dispose toutefois que ce principe ne fait « pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête, par décret en Conseil d’Etat, contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé. Le décret […] précise sa durée de validité qui ne peut pas excéder six mois ».

 

Ce sont ces dispositions dont il avait été fait application le 5 mars 2020.

 

Depuis le 24 mars, le contrôle des prix est également prévu au 8° du nouvel article L 3131-15 du CSP. La consultation préalable obligatoire du Conseil national de la consommation, prévue par le code de commerce, n’est plus nécessaire. Elle est remplacée par une information donnée à ce Conseil.

 

Ces dispositions nouvelles ont reçu application à travers l’article 11 du décret du 23 mars.

 

-      - La télémédecine

 

La télémédecine est définie à l’article L. 6316-1 du CSP comme « une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication ». Elle fait l’objet de l’article 28, paragraphe 6, de la convention conclue le 25 août 2016 entre les médecins libéraux et l’assurance malade qui distingue entre la téléexpertise et la téléconsultation, elle-même définie comme « la consultation à distance réalisée entre un médecin exerçant une activité libérale conventionnée, dit « téléconsultant », quel que soit son secteur d’exercice et sa spécialité médicale, et un patient (…) ». Cette convention prévoit notamment que, sauf exceptions limitativement énumérées (patients de moins de 16 ans, accès direct spécifique pour certaines spécialités…), la téléconsultation s’inscrit dans le respect du parcours de soins coordonné. Il en résulte que, en principe, la prise en charge de la téléconsultation n’est possible que si le patient a été orienté initialement par son médecin traitant (sauf le cas où la téléconsultation serait réalisée avec ce dernier) et si le patient est connu du téléconsultant[3].

 

-      La réserve sanitaire

 

La réserve sanitaire est prévue à l’article L. 3132-1 du CSP qui dispose : « En vue de répondre aux situations de catastrophe, d’urgence ou de menace sanitaires graves sur le territoire national, il est institué une réserve sanitaire ayant pour objet de compléter, en cas d’événements excédant leurs  moyens habituels, ceux mis en œuvre dans le cadre de leurs missions par les services de l’Etat (…), des agences régionales de santé et des autres personnes (…) concourant à la sécurité sanitaire ».

 

-      Les restrictions de déplacement

 

Selon ses visas, le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 est adopté sur la base de l’article L. 3131-1 du CSP relatif aux urgences sanitaires et dont le premier alinéa dispose : « En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire, dans l’intérêt de la santé publique, toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ». Il ressort donc expressément de ces dispositions que seul le ministre de la santé, à l’exclusion du Premier ministre, est habilité à adopter toute mesure d’urgence appropriée en cas de risque d’épidémie. En première analyse, la légalité du décret dit de « confinement » du 16 mars 2020 paraît donc douteuse[4].

 

Depuis le 24 mars, le 2° du nouvel article L 3131-15 du CSP habilite le Premier ministre à

« interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ». Ce sont donc ces nouvelles dispositions législatives qui servent désormais de fondement légal aux mesures de confinement ordonnées par l’article 3 du décret du 23 mars 2020.

 

-      Le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires

 

Comme indiqué plus haut, ce décret a pour base légale le nouvel article L 3131-15 du CSP qui donne au Premier ministre des pouvoirs exceptionnels en cas d’état d’urgence sanitaire, lequel est instauré jusqu’au 24 mai par l’article 4 de la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020.

 

Outre qu’il reprend, en les adaptant, les dispositions de même nature qui figuraient dans les décrets précédemment adoptés et examinés ci-dessus et qui sont abrogés, le décret du 23 mars 2020 :

 

- Fait du respect des « gestes-barrière » une obligation réglementaire à respecter (article 2) ;

 

- Reprend un certain nombre des mesures adoptées antérieurement et qui figuraient dans l’arrêté ministériel du 14 mars 2020 ou dans ses modifications :

 

  • interdiction de mouillage et d’accostage dans les eaux intérieures et territoriales françaises (hors la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie) (article L 3131-15 nouveau 1°) ;

 

  • interdiction des liaisons aériennes commerciales entre la métropole et l’outre-mer et entre les collectivités d’outre-mer entre elles (idem) ;

 

  • interdiction des rassemblements de plus de cent personnes (application du L 3131- 15 nouveau, 6°) ;

 

  • fermeture des établissements recevant du public (application du L 3131-15 nouveau et fermeture des établissements scolaires, péri-scolaires et universitaires (article L 3131-15, 5°) ;

 

  • diverses dispositions concernant le transport des personnes et des marchandises (article L 3131-15 nouveau, 1°).

 

- Donne suite aux injonctions du Conseil d’Etat du 22 mars 2020.

 

 

2. En quoi consistent les mesures décidées les 3, 5, 9, 13, 16 et 23 mars ?

 

-      La réquisition des masques à finalité médicale

 

La réquisition concerne d’abord les stocks de masques existant au 4 mars et situés sur l’ensemble du territoire français[5]. Deux types de masques sont concernés : les masques de protection respiratoire FFP2, d’une part ; les masques anti-projections respectant la norme EN 14683[6], d’autre part. Dans le premier cas, sont réquisitionnés les stocks détenus par toute personne morale et, dans le second, les stocks détenus par le fabricant ou ses distributeurs. Sont réquisitionnés dans les mêmes conditions les masques fabriqués entre le 4 mars 2020 et le 31 mai. A compter du 14 mars 2020, les mesures relatives aux masques de protection respiratoire, d’abord limitées aux seuls masques FFP2, sont étendues aux masques FFP3, N95, N99, N100, P95, P99, P100, R95, R99 et R100[7].

 

La mesure est motivée par « la situation sanitaire » et afin d’assurer un accès prioritaire aux masques par les professionnels de santé et les patients.

 

Ces dispositions sont reprises à l’identique à l’article 12 du décret du 23 mars 2020.

 

-      Le « gel » des prix… des gels

 

Motivé par « une situation manifestement anormale du marché », le décret bloque les prix « des gels hydro-alcooliques destinés à l’hygiène corporelle, quelle que soit leur dénomination commerciale ». Il distingue quatre situations, selon la contenance du flacon, de 50 ml ou moins à 300 ml ou plus. Dans chacun des quatre cas, sont fixés des prix limites de vente au détail toutes taxes comprises qui s’étagent de 40 euros par litre dans le cas du flacon de 50 ml ou moins (soit 2 euros pour le flacon de 50 ml) à 15 euros par litre. Dans les mêmes conditions, sont fixés des prix limites de vente hors taxes au stade du gros. Ces prix s’appliquent aux gels achetés entre le 6 mars et le 31 mai 2020 (date donc du « dégel »). Selon l’évolution de la situation, le ministre de l’économie est habilité à les modifier dans certaines limites.

 

En complément de ces dispositions relatives au prix des gels, l’article 2 de l’arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 23 mars 2020, reprenant une disposition qui figurait antérieurement dans l’arrêté du 14 mars 2020, abrogé, autorise la préparation et la vente de gels par les pharmacies[8].

 

Les dispositions analysées ci-dessus et relatives aux prix des gels sont reprises à l’identique à l’article 11 du décret du 23 mars 2020.

 

  • Les dérogations aux règles conventionnelles applicables à la prise en charge des actes de télémédecine

 

Le décret du 9 mars 2020 comprend deux séries de dispositions. D’une part, il modifie un précédent décret du 31 janvier 2020 qui avait adopté des dispositions permettant le versement d’indemnités journalières aux personnes rapatriées de Chine et placées à l’isolement pour prévoir un élargissement substantiel de l’ouverture des droits à ces prestations aux parents qui sont placés dans l’impossibilité de travailler du fait de l’isolement de leur enfant[9]. D’autre part, il déroge aux stipulations conventionnelles analysées ci-dessus quant aux conditions de prise en charge des téléconsultations et des actes de téléexpertise.

 

Outre des dispositions propres aux téléexpertises, l’article 2bis ajouté au décret du 31 janvier prévoit donc que, pour les patients présentant les symptômes du covid-19, il est possible de déroger aux règles conventionnelles exposées ci-dessus « lorsque le patient n’est pas en mesure de bénéficier d’une téléconsultation dans les conditions de droit commun ». Les dispositions dérogatoires font l’objet de l’article 28.6.1.2 de la convention et visent (i) l’hypothèse dans laquelle le patient ne peut matériellement être envoyé en téléconsultation par un autre médecin du fait que, pour une raison quelconque, il n’a pas accès à un médecin et (ii) celle dans laquelle il ne peut, pour des raisons proches, être connu du téléconsultant. Ces dispositions dérogatoires sont donc déclarées unilatéralement applicables, pour la période du 10 mars au 30 avril 2020, aux patients présentant les symptômes du covid-19.

 

Tout ceci ne manque pas, là encore, de nous interroger : est-il possible de déroger à une convention par décret ? Qu’est-ce qui justifie que, s’agissant de l’outre-mer, le champ territorial de ce texte soit plus restreint que celui des autres ?

 

Le décret 2020-227 du 9 mars 2020 n’a pas été abrogé par le décret du 23 mars 2020. Ces dispositions continuent donc d’être applicables.

 

  • La clarification des règles applicables à la mobilisation de la réserve sanitaire

 

Le décret 2020-248 modifie l’article D. 3134-2 du CSP pour clarifier les conditions dans lesquelles les ARS peuvent solliciter de l’Agence nationale de santé publique la mise à leur disposition de la réserve sanitaire.

 

De même, ces dispositions, non abrogées par le décret du 23 mars restent applicables.

 

  • Les restrictions à la liberté d’aller et de venir

 

La liberté d’aller et de venir constitue un droit constitutionnellement garanti et une liberté fondamentale. Pourtant, l’urgence sanitaire justifie que le décret 2020-260 du 16 mars 2020, entré en vigueur en métropole le lendemain à midi, y porte fortement atteinte. En effet, celui-ci, d’une part, « interdit jusqu’au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile ». Au cours de cette période du 17 au 31 mars, les déplacements ne sont autorisés que pour l’un des cinq[10] motifs limitativement énumérés par le décret et à la condition d’être muni d’une attestation ou d’une déclaration sur l’honneur justifiant de ce déplacement au regard de l’un ou de plusieurs de ces cinq motifs. D’autre part, le décret habilite les préfets à adopter localement des mesures plus restrictives si les circonstances l’exigent. Compte tenu de ce qui a été dit ci- dessus concernant la compétence du signataire de la mesure, on peut donc s’interroger, par voie de conséquence, sur la légalité de cette habilitation et donc sur la légalité des arrêtés préfectoraux qui viendraient à intervenir.

 

  • Le décret du 23 mars 2020

 

Le décret du 23 mars 2020 reprend en substance les dispositions analysées dans la présente note et qui sont issues des décrets des 5 mars 2020 (prix des gels), 13 mars 2020 (réquisitions) et 16 mars 2020 (confinement) qui sont abrogés. Il reprend également certaines des dispositions de l’arrêté du 14 mars 2020 modifié et complété, lui aussi abrogé (voir plus loin). Il est divisé en six chapitres : dispositions générales, déplacements et transports, rassemblements, réunions ou activités, établissements recevant du public, établissements d’accueil des enfants, établissements d’enseignement scolaire et supérieur, tenue des concours et examens, contrôle des prix, réquisitions.

 

A noter que le chapitre Ier relatif aux dispositions générales pose le principe de l’obligation du respect des règles d’hygiène dits « gestes-barrière », obligation qui n’était pas véritablement inscrite dans le droit positif jusqu’à ce jour. On notera également que le décret du 23 mars apporte réponse aux trois injonctions adressées au Gouvernement par le Conseil d’Etat le 22 mars[11] : le motif de déplacement dérogatoire tiré de la santé jugé trop imprécis est précisé. Il est désormais libellé en ces termes : « motif de santé à l’exception des consultations et soins pouvant être assurés à distance et, sauf pour les patients atteints d’une affection de longue durée, de ceux qui peuvent être  différés » ; le motif de déplacement dérogatoire tiré du déplacement bref est, lui aussi, nettement plus encadré. Il est désormais libellé en ces termes : « déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d’autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ». Enfin, les marchés sont désormais interdits par l’article 8 du décret, sauf dérogation préfectorale.

 

 

3. Comment les décrets sont-ils exécutés ?

 

-      L’exécution de l’ordre de réquisition

 

L’article 3 du décret 2020-190 confie son exécution au ministre des solidarités et de la santé. C’est donc la DGS et les ARS qui sont chargées de gérer un plan de répartition des masques pour les acheminer vers les professionnels et des établissements de santé. Une question fait débat : quels professionnels ?

 

 

Les industriels sont donc dépossédés au profit de l’Etat. En contrepartie de cette dépossession, l’industriel concerné a droit à une indemnité compensatrice, selon un mécanisme qui rappelle celui de l’expropriation[12]. Comme en matière d’expropriation, c’est donc devant le juge judiciaire que le montant de l’indemnité peut être discuté, en cas de désaccord. Le juge administratif quant à lui est compétent pour connaître du contentieux du décret et des arrêtés que prendront les ARS.

 

-      L’exécution du décret de « gel » des prix

 

L’article 5 du décret confie son exécution aux ministres de l’économie et des finances et des outre- mer. Ce sont donc les agents de la DGCCRF et des DIRECCTE qui vont veiller à sa bonne application, dans les conditions prévues par le code de commerce. Les prix de vente pratiqués par les pharmacies des gels préparés par elles, telles que fixés par l’arrêté du ministre de l’économie du 14 mars 2020 sont contrôlés dans les mêmes conditions.

 

-      L’exécution du décret relatif aux téléconsultations

 

L’exécution de ce décret est confiée conjointement aux ministres des solidarités et de la santé et à celui des comptes publics, qui sont tous deux en charge de la DSS. En pratique, l’usage qui sera fait de ces dispositions dépend de l’information que les médecins vont recevoir à son sujet. Compte tenu de leur durée d’application limitée, on peut penser qu’elles sont très largement réservées aux médecins possédant les équipements techniques leur permettant d’ores et déjà de réaliser des téléconsultations. Elles ne sont donc guère de nature à favoriser le développement de celles- ci.

 

-      L’exécution du décret relatif à la réserve sanitaire

 

L’exécution du décret relatif à la réserve sanitaire prend la forme d’arrêtés ministériels ou de décisions des ARS dans les conditions prévues à l’article L. 3134-1 du CSP. Les personnes ainsi mobilisées qui sont principalement du personnel de santé en retraite ou, au contraire, des étudiants en médecine, sont indemnisées dans les conditions prévues à l’article L. 3133-1. Depuis le 25 janvier, pas moins de huit arrêtés de mobilisation de la réserve sanitaire ont été adoptés[13].

 

Le ministre des solidarités et de la santé est par ailleurs le signataire des arrêtés instaurant les diverses mesures restrictives mises en place depuis le 12 mars et adoptées, elles aussi, sur la base de l’article L. 3131-1 analysé ci-dessus : interdiction des rassemblements de plus de cent personnes, de mouillage dans les eaux territoriales[14] (arrêtés des 13 et 14 mars, JO des 14 et 15) et d’interdiction des vols commerciaux avec la métropole et entre les îles, interdictions qui figurent désormais dans le décret du 23 mars (articles 4, 5 et 7); fermeture des établissements recevant du public qui fait désormais l’objet de l’article 8 du décret du 23 mars 2020, fermeture des établissements scolaires, péri-scolaires et universitaires, sauf pour l’accueil des enfants du personnel médical et suspension des concours et examens (arrêté modificatif du 17 mars, JO du 18) (mesure reprise à l’article 9 du décret du 23 mars 2020) ; règles de prise en charge dérogatoire du médicament, du dispositif médical[15] ou de la prestation de service (arrêté modificatif du 19 mars, JO du 20) (disposition reprise à l’article 5 de l’arrêté du 23 mars 2020), notamment pour les personnes souffrant d’une maladie chronique (arrêtés des 14, 17 et 19 mars, JO des 15, 18 et 20) (arrêté du 23 mars 2020, article 4) ; autorisation donnée aux pharmacies de distribuer gratuitement, moyennant une indemnité de 0,60 euro, des masques aux professionnels de santé (arrêtés modificatifs des 16 et 17 mars, JO des 17 et 18) (arrêté du 23 mars 2020, article 3) ; règles dérogatoires de dispensation et de prise en charge des hypnotiques, des anxiolytiques, des stupéfiants et des traitements à base de méthadone (arrêté modificatif du 19 mars, JO du 20) (arrêté du 23 mars 2020, article 4) ; limitation des ventes de paracétamol, d’ibuprofène et d’aspirine et suspension de leur vente par internet (arrêté du 23 mars, article 6) ; règles dérogatoires pour les actes de télésanté (arrêté modificatif du 19 mars, JO du (arrêté du 23 mars 2029, article 8) ; possibilité pour l’armée d’assurer le transport des patients atteints de covid-19 (arrêté modificatif du 17 mars, JO du 18) (arrêté du 23 mars, article 9) et de mettre à disposition des structures médicales opérationnelles (arrêté modificatif du 20 mars, JO du (arrêté du 23 mars, article 10) ; diverses mesures concernant le transport des personnes[16] et des marchandises[17] (arrêté modificatif du 19 mars, JO du 20), restrictions désormais reprises à l’article 6 du décret du 23 mars 2020 ; possibilité pour les établissements de santé de pratiquer des activités de soins autres que celles pour lesquelles ils sont autorisés (arrêté modificatif du 21 mars, JO du (arrêté du 23 mars, article 7).

 

L’état d’urgence sanitaire instauré par la loi d’urgence du 23 mars 2020, outre qu’il renforce, comme nous l’avons vu ci-dessus, les pouvoirs de police du Premier ministre, renforce également ceux du ministre de la santé. En état d’urgence sanitaire, le ministre de la santé peut ainsi adopter toute mesure proportionnée à la situation sur la base du nouvel article L 3131-16 du CSP qui vient compléter l’article L 3131-1 sur la base duquel avaient été adoptés les arrêtés du ministre de la santé dont le contenu est résumé ci-dessus.

 

Le nouvel article L 3131-16 habilite le ministre de la santé à adopter « toute mesure réglementaire relative à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé », autres que celles adoptées par le Premier ministre.

 

Selon une mécanique identique à celle qui a prévalu pour les décrets, l’ensemble des arrêtés adoptés par le ministre de la santé antérieurement au 23 mars 2020 ont été abrogés par un arrêté du ministre de la santé du 23 mars 2020, entré en vigueur le 24, « prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires (…) dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire », tel que désormais prévu à l’article L 3131-16 du CSP, entré en vigueur le 24 mars également.

 

L’ensemble des mesures commentées dans la présente note sont donc, à partir du 24 mars, soit insérées dans le décret du 23 mars 2020 adopté par le Premier ministre sur la base de l’article L 3131-15 nouveau, soit insérées dans l’arrêté ministériel du même jour, pris cette fois sur la base de l’article 3131-16 du CSP, nouveau lui aussi. Comme indiqué ci-dessus, ne font exception à cette règle que les deux décrets des 9 mars 2020 (prise en charge des téléconsultations) et 13 mars 2020 qui demeurent d’application.

 

La présentation ci-dessus donne, pour chaque mesure, les références de l’arrêté qui l’énonce initialement, accompagnée de la référence correspondante dans le nouveau dispositif juridique, décret du 23 mars ou arrêté du ministre de la santé du même jour.

 

-      L’exécution du décret relatif aux restrictions de circulation

 

L’article 4 du décret confie son exécution aux ministres de la santé et au ministre de l’Intérieur. Il s’agit cependant en réalité d’une mesure de police de l’ordre public dont l’exécution incombe aux forces de l’ordre.

 

 

4. Que se passe-t-il en cas de violation de ces dispositions ?

 

-      Sanction du non-respect de l’ordre de réquisition

 

La méconnaissance des dispositions prises sur le fondement des articles L. 3131-8 et L. 3131-9 est punie de six mois d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende (article L. 3136-1). En vertu de la loi d’urgence du 23 mars 2020 qui a modifié pour ce faire l’article L 3136-1 du CSP, cette sanction est étendue en cas de violation des ordres de réquisitions que peuvent désormais prononcer le Premier ministre (L 3131-15), le ministre de la santé (L 3131-16) et les préfets (L 3131-17) en cas de proclamation de l’état d’urgence sanitaire.

 

-      Sanction en cas de non-respect du « gel » des prix

 

En application de l’article R. 410-1 du code de commerce, le non-respect du décret du 5 mars 2020 était sanctionné par une amende de 1 500 euros, portée à 3 000 euros en cas de récidive. C’est désormais le régime général de la violation des articles L 3131-15, L 3131-16 et L 3131-17, tel qu’il sera présenté ci-dessous, qui s’applique.

 

-      Sanction en cas de non-respect du décret relatif aux téléconsultations

 

A la différence des deux précédents, le décret du 9 mars crée un droit et non pas une obligation. La seule sanction est le refus de prise en charge de la téléconsultation intervenue dans les conditions dérogatoires prévues par le décret. Ce risque dépendra de l’information que les caisses vont recevoir.

 

-      Sanction en cas de non-respect du décret relatif aux restrictions de circulation

 

En vertu du décret 2020-264 du 17 mars 2020, entré en vigueur le 18, l’inobservation du décret fait l’objet d’une amende forfaitaire d’un montant de 135 euros, montant de l’amende forfaitaire applicable aux contraventions de quatrième classe.

 

A compter du 24 mars 2020, le régime des sanctions est celui prévu par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence. Ce nouveau régime de sanctions est nettement alourdi par rapport au dispositif antérieurement applicable, notamment en cas de récidive.

 

En effet, l’infraction est sanctionnée par une contravention de cinquième classe en cas de récidive, de sorte que l’amende peut atteindre dans ce cas jusqu’à 1 500 euros. A la troisième infraction pour des faits identiques dans un délai de trente jours, la sanction applicable est de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. La peine complémentaire de travail d’intérêt général s’applique. Si l’infraction a été commise à l’aide d’un véhicule, une suspension de trois ans du permis de conduire est encourue.

 

Ce nouveau dispositif de sanction s’applique à toute violation d’une disposition autre que la réquisition à toute mesure réglementaire prononcée par le Premier ministre, le ministre de la santé ou le préfet[18] en cas de proclamation de l’état d’urgence sanitaire. Ce dispositif s’applique à toute infraction constatée à compter du 24 mars 2020, date de son entrée en vigueur..

 

Enfin, on relèvera que la loi habilite également les agents de la police municipale à constater ces infractions.

 

 

5. Que faut-il penser de ces mesures ?

 

Ces initiatives posent la question de la nécessaire recherche d’un cadre territorial adapté à un fléau mondial et qui concerne notamment toute l’UE. Il est regrettable que la clause de solidarité du Traité européen (article 222) ne vise pas plus clairement les crises sanitaires. Si cette clause a néanmoins été activée, ce n’est que le 2 mars que l’on est passé au stade de « l’activation totale ». Les réponses isolées et contradictoires des Etats souffrent ainsi d’une cruelle absence de coordination. Simple « échange de vues », le Conseil « santé » qui s’est tenu vendredi 6 mars n’affiche aucune ambition. Le communiqué final (3 lignes !) fait peine à lire. Il a fallu attendre le 16 mars et la déclaration télévisée du Président de la République pour que soit annoncée la première mesure européenne, ô combien symbolique toutefois, la fermeture de l’espace Schengen. Claude Le Pen le dit simplement : on ne gère pas une crise mondiale au plan local[19].

 

*          *

 

*

 

[1] La légalité de ce décret est incertaine. Il « gèle » en effet les prix de tous les gels hydroalcooliques sans distinction, alors même que, selon leur composition, certains ne sont pas efficaces à l’encontre du Covid-19. L’arrêté signé le lendemain n’habilite d’ailleurs les pharmacies qu’à préparer un gel dont la composition est fixée dans son annexe.

[2] Selon le Conseil d’Etat, un texte peut être pris pour l’application d’un texte de force supérieure avant l’entrée en vigueur de ce dernier, pourvu qu’il n’entre pas en vigueur antérieurement à ce dernier. En l’espèce, la loi et le décret sont tous deux entrés en vigueur le 24 mars.

[3] Ce qui signifie que le téléconsultant doit avoir réalisé dans les douze mois précédents la téléconsultation au moins une consultation en présentiel avec le patient concerné.

[4] Ce que confirme implicitement l’avis du Conseil d’Etat du 18 mars sur le projet de loi d’urgence. Selon en effet cet avis, le décret du 16 mars 2020 n’a pour base légale que la seule théorie jurisprudentielle des « circonstances exceptionnelles », laquelle remonte à 1919 ! L’un des objectifs de ce projet de loi est ainsi de sécuriser la situation actuelle, en insérant dans le code de la santé publique une disposition législative qui prévoit les conditions de déclaration de l’état d’urgence sanitaire.

[5] Les importations ne sont donc pas concernées. Le décret modificatif n° 2020-281 du 20 mars 2020, entré en vigueur le 21, est venu préciser à quelles conditions les masques importés pouvaient, le cas échéant, être réquisitionnés par arrêté du ministre en charge de la santé.

[6] Décrets n° 2020-281 du 20 mars 2020 et décret du 23 mars 2020. La référence à cette norme, reprise par l’AFNOR, soulève plusieurs questions. Selon, en effet, le site internet de l’AFNOR, cette norme est annulée depuis le 29 février 2020. En tout état de cause, elle semble concerner les masques de protection respiratoire et non pas les masques anti-projections.

[7] FFP pour « Filtering facepiece », N pour « Ne résiste pas à l’huile », P pour « Résiste à l’huile », R pour « Résiste à l’huile jusqu’à 8 heures ».

[8] Signalons encore qu’un arrêté du ministre de la transition écologique et solidaire du 13 mars 2020, entré en vigueur le 15 mars, modifié le 20 mars, est venu autoriser la mise à disposition, jusqu’au 31 mai 2020, de certains produits hydro-alcooliques utilisés en tant que biocides désinfectants pour l’hygiène humaine.

[9] Le décret 2020-73 du 31 lanvier 2020 a été modifié une seconde fois par le décret n° 2020-277 du 19 mars 2020, entré en vigueur le 20, pour permettre la prise en charge des actes de télésanté réalisés dans le cadre d’un diagnostic d’infection à covid-19.

[10] Le nombre des motifs autorisés est porté de 5 à 8 à compter du 20 mars 2020, essentiellement pour permettre de répondre à une convocation administrative ou judiciaire (décret modificatif n° 2020-279 du 19 mars 2020).

    [11] Voir sur ce point notre veille du 23 mars 2020. 

[12] La loi d’urgence sanitaire prévoit que son montant est fixé selon les modalités prévues par le code de la défense (voir notre veille sur cette loi).

[13] 25 janvier 2020 (JO du 30), 1er février (JO du 2), 6 février (JO du 8) ; 20 février (JO du 21), 24 février (JO du

25), 27 février (JO du 29), 1er mars (JO du 3) et 4 mars (JO du 6).

[14] Interdiction étendue aux ports continentaux à compter du 20 mars (arrêté modificatif du 19 mars, JO du 20).

[15] Les dispositifs médicaux concernés par ce régime dérogatoire sont ceux inscrits au titre I de la LPPR, chapitres 1 (traitement de pathologies spécifiques), 2 (maintien à domicile et aide à la vie), 3 (pansements et matériels de contention).

[16] Outre les interdictions de mouillage et d’amarrage dans les eaux intérieures et les eaux territoriales des navires de croisière, les liaisons aériennes entre la métropole et l’ensemble des collectivités d’outre-mer (hors la Nouvelle- Calédonie) et entre ces collectivités entre elles sont suspendues à compter du 23 mars à zéro heure jusqu’au 15 avril (arrêté modificatif du 21 mars, JO du 22).

[17] Ces mesures sont complétées par deux arrêtés sectoriels. Un arrêté du ministre de l’Intérieur et du secrétaire d’Etat aux transports du 19 mars, entré en vigueur le 21, a levé jusqu’au 20 avril les restrictions de circulation concernant les véhicules de plus de 7,5 tonnes de PTAC, cependant qu’un arrêté du ministre de la transition écologique et solidaire du 20 mars 2020, entré en vigueur le 21, permet de déroger, jusqu’au 19 avril, aux obligations légales en matière de temps de travail des chauffeurs.

[18] En effet, la loi habilite depuis le 24 mars directement les préfets à adopter des dispositions plus rigoureuses que celles présentées dans cette note si les circonstances locales l’exigent (voir notre veille sur la présentation de la loi).

[19] ARTE, « 28 minutes », émission diffusée le 5 mars 2020.

 

 

 

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