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La CJUE décide que les pièces d’un dossier d’AMM sont communicables à un concurrent

Par deux arrêts rendus le 22 janvier 2020[1], la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), statuant sur des pourvois formés à l’encontre d’arrêts précédemment rendus par le Tribunal de l’Union européenne[2] (TUE), a, pour la première fois, pris position sur la question de la communication à des tiers des pièces soumises à l’EMA dans le cadre de demandes d’autorisation de mise sur le marché (AMM) déposées respectivement par les laboratoires PTC et MSD.

 

Par ces arrêts, la CJUE a confirmé tout à la fois les arrêts rendus en première instance par le TUE et les deux décisions de l’EMA qui avait accédé à la demande de laboratoires concurrents des demandeurs d’AMM de disposer d’une copie de certaines des pièces soumises à l’EMA et figurant donc dans les dossiers d’AMM[3].

 

A l’instar des dispositions de même nature qui figurent depuis 1978 dans le droit français et aujourd’hui codifiées dans le code des relations entre le public et l’administration[4] (CRPA), le règlement européen n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001 permet à des tiers de demander aux institutions européennes – y inclus l’EMA – la communication de certaines pièces figurant dans des dossiers administratifs. Sollicitée sur le fondement de ces dispositions, l’EMA a communiqué, postérieurement à l’octroi des AMM, des rapports d’essais toxicologiques et un rapport d’essai clinique qui figuraient dans les dossiers qui avaient été déposés par PTC et MSD en vue de l’octroi d’une AMM à usage humain pour le premier[5] et à usage vétérinaire pour le second.

 

Les deux demandeurs d’AMM soutenaient que ces rapports étaient, dans leur intégralité, confidentiels et entraient pour ce motif dans le champ de l’une des exceptions à la communication prévues, comme en droit français, à l’article 4 du règlement. L’EMA a estimé que tel n’était pas le cas. Elle a donc communiqué les rapports en cause, moyennant l’occultation de quelques mentions qu’elle a estimées effectivement relever de l’article 4 du règlement.

 

Pour confirmer la solution arrêtée par l’EMA, la CJUE a donc d’abord dû juger, et c’est le point déterminant de l’arrêt, que, contrairement à ce que soutenaient les demandeurs d’AMM, les rapports en question n’étaient pas, par nature, confidentiels.

 

Après avoir tranché ce point, la CJUE se devait alors de répondre à la question de savoir si la communication des rapports était de nature à porter atteinte aux intérêts des demandeurs d’AMM, autre exception prévue par l’article 4 du règlement, à côté de la confidentialité et invoquée elle aussi par les demandeurs d’AMM. Pour trancher cette seconde question, la Cour a jugé que la personne qui entend se prévaloir de l’exception tirée de l’atteinte à ses intérêts doit justifier in concreto d’une telle atteinte, avant de décider que les arguments avancés dans ce cadre ne lui permettaient pas de considérer cette argumentation comme suffisamment convaincante. La Cour a en particulier écarté l’objection tirée d’un risque d’utilisation abusive des données contenues dans les rapports d’essais toxicologiques et cliniques en jugeant que ce risque devait être suffisamment établi et que les demandeurs d’AMM ne pouvaient se borner à des allégations de portée générale.

 

Dans un troisième temps, la CJUE a rappelé, mais ce rappel va de soi, que c’est devant l’EMA et non au stade judiciaire que devait être développé et étayé l’argumentaire tendant à soutenir que la divulgation des rapports en cause était de nature à nuire aux intérêts commerciaux des demandeurs d’AMM. Un rappel qui va de soi puisque seul cet argumentaire est susceptible de motiver de la part de l’EMA un refus de communication, la CJUE ne faisant que statuer sur la légalité de la décision d’octroi ou de refus de communication adoptée par l’EMA.

 

En bref donc, deux arrêts riches d’enseignements, raison pour laquelle ils ont été accompagnés d’un communiqué de presse de la Cour. En premier lieu, la CJUE infirme sans ambiguïté l’opinion commune selon laquelle les pièces d’un dossier d’AMM sont, par nature, confidentielles (1er temps). En second lieu, la CJUE donne au demandeur d’AMM un guideline de la conduite à tenir s’il entend se prévaloir d’une exception au droit de communication : il appartient à l’auteur de cette demande, d’une part, d’exposer concrètement les objections dont il entend se prévaloir (2ème temps) et, d’autre part, de le faire devant l’autorité administrative et non pas ex post, lors de la phase judiciaire des débats (3ème temps).

 

Juridiquement, cet arrêt n’est pas contraignant à l’égard des juridictions françaises. Mais gageons qu’il ne manquerait pas de constituer un précédent « de poids » devant une juridiction française saisie d’un litige de même nature. Un arrêt qui pose par ailleurs la question de son articulation avec la directive européenne sur la protection des secrets d’affaires[6], à peine transposée[7].

 

[1] CJUE, C-175/18 P, PTC Therapeutics International et C-178/18 P, MSD Animal Health Innovation et Intervet International/EMA.

[2] TUE, 5 février 2018, T 718-15 et T-729/15.

[3] Décisions de l’EMA du 25 novembre 2015, EMA/722323/2015 et EMA/785809/2015.

[4] Articles L 311-1 à L 312-1.

[5] Il s’agit de la spécialité Translarna, utilisée dans le traitement de la dystrophie musculaire de Duchenne.

[6] Directive n° 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites (JOUE L 157 du 15 juin 2016).

[7] Loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires (JORF du 31 juillet 2018, texte n° 1).

 

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