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A quelles conditions un accord de règlement amiable entre un laboratoire princeps et un génériqueur est-il anticoncurrentiel ?

Un arrêt de la CJUE du 30 janvier 2020 fournit un guideline pour répondre à cette question

Alors que les projecteurs étaient braqués sur le Brexit, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), quelques jours seulement après avoir posé le principe de l’accès des concurrents au dossier d’AMM, a précisé les conditions dans lesquelles un accord amiable entre le fabricant de produits princeps et des génériqueurs en vue de mettre fin à un litige sur des droits de propriété intellectuelle était susceptible d’être qualifié d’accord anticoncurrentiel.

 

Un litige entre Beecham (aujourd’hui GlaxoSmithkline (GSK)) et plusieurs génériqueurs[1] est né au Royaume-Uni à la chute du brevet de la paroxétine[2], date à laquelle des génériqueurs ont décidé de pénétrer sur le marché britannique. GSK, titulaire de brevets secondaires protégeant des procédés de fabrication de cet ingrédient, a engagé des actions en contrefaçon. Les litiges se sont finalement soldés par des accords amiables par lesquels les génériqueurs, en contrepartie d’une indemnisation, renonçaient, pour une période convenue n’excédant pas la durée de validité des brevets restant à courir, à pénétrer sur le marché britannique (pay for delay).

 

Ces accords ont été qualifiés d’anticoncurrentiels par l’autorité britannique de la concurrence qui a sanctionné GSK et deux génériqueurs. Saisie de cette décision en appel, le Competition Appeal Tribunal, équivalent britannique de la chambre concurrence de la cour d’appel de Paris (« la juridiction de renvoi »), pose à la CJUE, plusieurs (dix !) questions préjudicielles en interprétation des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatifs respectivement aux ententes anticoncurrentielles et aux abus de position dominante. Rappelons, pour mémoire, que l’article 101 du TFUE prohibe les ententes anticoncurrentielles par leur objet ou par leurs effets avérés ou potentiels, cependant que l’article 102 prohibe les pratiques abusives commises par une entreprise ou un groupe d’entreprises en position dominante sur un marché de produits ou de service ou une partie substantielle de celui-ci.

 

> Premier enseignement : le titulaire du produit princeps et les génériqueurs qui ne sont pas encore présents sur le marché concerné ne sont pas nécessairement dans un rapport de concurrence

 

Par ses deux premières questions, la juridiction de renvoi demande en substance à la CJUE s’il convient de « considérer comme des concurrents potentiels le titulaire d’un brevet sur un produit pharmaceutique et un fabricant de médicaments génériques voulant entrer sur le marché avec une version générique dudit produit lorsque les deux parties sont en litige de bonne foi sur la validité du brevet ou sur le caractère contrefaisant du produit générique ? ».

 

A ces premières questions, la CJUE répond que, dans la situation factuelle exposée ci-dessus, le titulaire d’un brevet de fabrication d’un principe actif tombé dans le domaine public et des génériqueurs sont dans un rapport de concurrence « lorsqu’il est établi que le fabricant de médicaments génériques a effectivement la détermination ferme ainsi que la capacité propre

d’entrer sur le marché et que celui-ci ne se heurte pas à des barrières à l’entrée présentant un caractère insurmontable », à charge pour la juridiction de renvoi d’apprécier si ces conditions sont remplies dans le litige dont elle est saisie.

 

Autrement dit, le fabricant du produit princeps, présent sur le marché, et les génériqueurs, encore absents de ce marché, ne sont pas nécessairement dans un rapport de concurrence. La réponse à cette question dépend d’un examen in concreto de la situation qui va permettre de conclure à l’existence ou non d’un rapport de concurrence potentielle.

 

> Deuxième enseignement : l’évaluation des transferts de valeurs qui font l’objet de l’accord de règlement amiable entre le fabricant d’un princeps et un génériqueur doit permettre de répondre à la question de savoir si cet accord a un objet anticoncurrentiel

 

En deuxième lieu, la cour de renvoi demande à la CJUE si les accords en cause sont susceptibles d’être qualifiés d’anticoncurrentiels par leur objet.

A cette deuxième série de questions, la CJUE répond qu’un accord de règlement amiable d’une procédure judiciaire constitue un accord anticoncurrentiel par son objet « s’il ressort de l’ensemble des éléments disponibles que le solde positif des transferts de valeurs du fabricant de médicaments princeps au profit du fabricant de médicaments génériques s’explique uniquement par l’intérêt commercial des parties à l’accord à ne pas se livrer une concurrence par les mérites, à moins que l’accord ne soit assorti d’effets proconcurrentiels avérés, de nature à faire douter de son caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence ».

 

Deuxième enseignement donc : l’accord de règlement amiable n’est pas nécessairement anticoncurrentiel en soi. Seul l’examen des stipulations qu’il contient au regard des critères énoncés par la Cour portant sur l’analyse des transferts de valeurs opérés par l’accord permet de répondre à la question de la « qualification par l’objet ».

 

> Troisième enseignement : la qualification d’un accord de règlement amiable entre le fabricant du princeps et un génériqueur au regard de l’article 101 TFUE est une qualification autonome, indépendante de toute évaluation de l’issue du litige ou de la stratégie contentieuse des parties à l’accord

 

Faute de pouvoir être qualifié d’anticoncurrentiel à raison de son objet, l’accord pay for delay peut encore être qualifié d’anticoncurrentiel par ses effets, avérés ou potentiels. Répondre à la question de savoir à quelles conditions une telle qualification par l’effet peut être opérée est l’objet d’une troisième série de questions. Par cette troisième série de questions, la cour de renvoi demande en effet si l’accord en cause est anticoncurrentiel par ses effets réels ou potentiels ou si cette qualification suppose que la juridiction constate que, en l’absence d’accord, le génériqueur aurait probablement eu gain de cause ou que les parties auraient probablement conclu un accord moins restrictif de concurrence.

 

A cette question, la CJUE répond que la qualification de l’accord au regard de l’article 101 par ses effets anticoncurrentiels réels ou potentiels sur le marché « ne présuppose pas qu’il soit constaté que, en l’absence de celui-ci, soit le fabricant de médicaments génériques (…) aurait probablement obtenu gain de cause dans la procédure (…), soit les parties (…) auraient probablement conclu un accord de règlement amiable moins restrictif ».

 

Troisième enseignement donc : la qualification de l’accord au regard de l’article 101 à raison de ses effets anticoncurrentiels avérés ou potentiels est une qualification autonome qui est indépendante de tout pronostic sur l’issue du litige.

 

> Quatrième enseignement : la qualification de la pratique au regard de l’article 102 du TFUE est une qualification autonome ; l’abus n’est pas seulement la somme des effets anticoncurrentiels de chacun des accords

 

Enfin, la cour de renvoi demande à quelles conditions les accords en cause peuvent être qualifiés d’un abus de position dominante auquel se serait livré GSK.

 

A cette question, la CJUE, après avoir rappelé qu’une telle qualification présuppose l’existence d’un rapport de concurrence potentielle tel qu’évalué sur la base des réponses aux deux premières questions, répond qu’un accord tels que ceux en cause est constitutif de la part du fabricant du produit princeps, entreprise en position dominante, d’un abus au sens de l’article 102 du TFUE « dès lors que la stratégie (poursuivie par le fabricant du princeps) a la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire des effets d’éviction, dépassant les effets anticoncurrentiels propres à chacun des accords de règlement amiable y contribuant ».

 

Quatrième enseignement : la qualification des accords au regard de l’article 102 du TFUE suppose, là encore, une appréciation autonome, l’abus devant nécessairement aller au-delà de la somme des effets anticoncurrentiels de chacun des accords. On ne peut en effet exclure que l’effet d’éviction résultant du cumul des accords pay for delay ait contribué au renforcement de la position dominante du fabricant de produits princeps, de sorte que la stratégie d’ensemble du laboratoire produise un effet d’éviction des génériqueurs supérieur à la somme des effets d’éviction de chacun des accords pris isolément. Dans un tel cas, les accords de règlement amiable seraient susceptibles, dans leur ensemble, de recevoir une qualification autonome au titre de l’article 102, indépendamment de la qualification éventuelle de chacun des accords au regard du droit des ententes.

 

CJUE, 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C-307/18

 

[1] Actavis, Generics UK (GUK), Merck, Xellia, Zoetis (devenue Alpharma).

[2] La paroxétine est un antidépresseur délivré sur ordonnance et commercialisé par GSK sous le nom commercial

 

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